Les maux de tête, ou céphalées, représentent un problème très fréquent et parfois très invalidant. Il y a plusieurs types de céphalées. Beaucoup trop en fait pour discuter en détails de chacun de ces types, quoique les plus fréquents en physiothérapie peuvent être catalogués sous les appellations suivantes :
Les céphalées cervicogéniques, c’est-à-dire les maux de têtes dont la cause se situe dans les tissus de le haut de la région cervicale, se traitent la plupart du temps avec succès en physiothérapie. De récentes études démontrent que les mains d’un physiothérapeute expérimenté en thérapie manuelle saura détecter la présence, ou l’absence, de dysfonctions cervicales pouvant être la cause des douleurs. Les céphalées de tension présentent pour leur part des points de tensions dans différents muscles qui irradient à la tête. Le stress est souvent relié aussi aux céphalées de tension. Bref, le terme tension vaut autant pour tension musculaire que tension émotive. Pour ce qui est des migraines, il est fréquemment mentionné que ces dernières ne se traitent pas en physiothérapie. C’est faux. Quoique la cause ne se situe pas dans la région cervicale dans le cas d’une migraine, étant une pathologie neurologique, une problématique dans cette région peut amplifier ou déclencher une crise.
POUR APPROFONDiR :
Les études réalisées jusqu’à présent suggèrent que la physiothérapie soit aussi efficace que la médication prophylactique.
Par ailleurs, beaucoup de critères diagnostiques se chevauchent entre les types de céphalées, rendant le diagnostic médical parfois difficile, sans mentionner qu’il n’est pas rare que plus d’un type de céphalées coexistent. La coexistence possible et fréquente de divers types de céphalées fait en sorte que l’évaluation de la région cervicale devrait être de mise dans pratiquement tous les cas de céphalées. À noter que je parle ici beaucoup de la région cervicale, mais il y a d’autres causes potentielles de céphalées traitables en physiothérapie, telles que la mâchoire et la région dorsale, en plus des interactions avec la posture, l’occlusion, ainsi que les systèmes vestibulaire, oculo-moteur, et bien d’autres. Cette complexité fait en sorte que les céphalées représentent souvent un défi pour le clinicien et leur prise en charge adéquate nécessite un physiothérapeute formé en conséquences afin de pouvoir procéder à une évaluation détaillée du patient, prodiguer un traitement approprié selon les dysfonctions notées à l’évaluation. Une collaboration étroite avec le reste de l’équipe médicale est parfois également nécessaire.
Ci-bas, pour les curieux et pour les assoiffés de savoir, le rationnel expliquant la contribution aux céphalées de différentes régions anatomiques sera expliqué :
La région cervicale
Les connaissances pouvant expliquer la contribution de la région cervicale à des céphalées sont relativement récentes. Sjaastad a été le premier à proposer cette relation mais elle n’a pu être vraiment mise de l’avant qu’après les publications de Bogduk, un anatomiste. En fait, le nerf d’Arnold est souvent culpabilisé mais ne peut expliquer que partiellement une contribution cervicale aux céphalées. La démonstration est en fait fort simple: il voyage à l’arrière de la tête mais ne dépasse pas la ligne médiane du crâne. Il ne peut donc pas expliquer des douleurs à l’avant de la tête, dans la région des tempes, du front, ou des yeux. Pas directement, du moins.
En réalité, le nerf d’Arnold, ou n’importe quel autre structure innervée par les racines nerveuses C1, C2 ou C3, c’est-à-dire dans le haut de la région cervicale, est en mesure d’irradier à l’avant de la tête, dans les régions ophtalmique, temporale, et frontale. Le phénomène d’irradiation est rendu possible par une communication entre les racines nerveuses C1, C2 et C3 ainsi que le noyau du nerf trijumeau, ce dernier étant responsable de l’innervation sensitive de l’avant de la tête. Comme le nerf trijumeau prend origine dans le tronc cérébral, donc à l’intérieur de la boîte crânienne, il était auparavant assumé qu’il ne pouvait pas avoir de communication avec les racines nerveuses cervicales. C’est ici que les écrits de Bogduk prennent de l’importance : il a rappelé que par des coupes anatomiques il avait déjà été démontré que le noyau du nerf trijumeau descend dans le haut de la moëlle épinière, s’unissant avec les racines C1, C2 et C3, de façon à former un noyau commun, le noyau trigémino-cervical. Bref, il a découvert une bretelle d’accès au nerf trijumeau via la région cervicale haute. Ce phénomène est connu sous le nom de phénomène de convergence.

La théorie du phénomène de convergence
De plus, des études ont démontré que des stimulations en provenance des racines nerveuses de la région cervicale haute augmentent l’excitabilité de ce fameux noyau trigémino-cervical. Une augmentation de l’excitabilité signifie qu’il devient plus « nerveux » et laisse passer plus facilement les informations qui y transitent. Il faut savoir qu’un certain niveau de stimulation doit toujours être atteint afin que les cellules nerveuses soient activées. Ainsi, des influx en provenance de la base du crâne, via le nerf trijumeau, ne résultent pas nécessairement en signaux qui vont être relayés vers le cerveau.
Toutefois, lorsque le noyau voit son excitabilité augmentée, il a besoin d’un niveau de stimulation plus bas qu’à l’usuel. Ceci permet le relais d’influx vers le cerveau, dans des circonstances qui n’auraient peut-être donné lieu à des influx vers le cerveau dans des conditions normales. La migraine est particulier présente en générale cette augmentation de l’excitabilité du noyau trigemino-cervical. En sommes, une problématique à la région cervicale a le potentiel d’augmenter ou de déclencher des céphalées migraineuses qui n’auraient pas eu lieu sans la problématique cervicale existante. C’est la raison pourquoi des infiltrations du nerf d’Arnold sont pratiquées dans divers types de céphalées, qu’elles soient d’origine cervicale ou non.
Par ailleurs, dans un article au sujet de la pathophysiologie de la migraine [1], publié dans Nature, un des plus prestigieux journal scientifique, on peut voir que les influx en provenance de la région cervicale sont bien représentés:
Pour la céphalée de tension, l’augmentation de l’excitabilité jour un rôle également, mais surtout lors de l’évolution de la pathologie vers sa forme chronique. Comme discuté plus haut, la pathophysiologie de la céphalée de tension est surtout en lien avec des points de tension musculaire, nommés points gâchettes, qui réfèrent une douleur au niveau de la tête. Les muscles touchés peuvent être situés au niveau du cou, de la mâchoire, et vers les omoplates.
La région thoracique et la scapula
C’est principalement la région entre T3 et T6 qui peut être responsable de céphalées. Une dysfonction de l’une de ces vertèbre peut rentrer en conflit avec un des ganglions du système nerveux sympathique. Le système nerveux sympathique est nécessaire pour gérer de façon autonome ou inconsciente, notamment, le calibre des vaisseaux sanguins, la dilations pupillaire, la fréquence cardiaque, et la fréquence respiratoire. Comme le système nerveux sympathique prend origine exclusivement dans la région thoracique, c’est la région thoracique supérieure qui est responsable de fournir une contribution aux racines nerveuses cervicales, par le prolongement vers le haut de la chaîne sympathique dorsale. Ainsi, un conflit avec un ganglion thoracique supérieur peut induire un changement de vascularisation au niveau des vaisseaux sanguins des membres supérieurs et de la tête.
Un tel conflit porte le nom de syndrome T4, puisque cette dernière est la plus fréquemment responsable du syndrome. La symptomatologie inclue ainsi des douleurs thoraciques supérieures, autant antérieures que postérieures, ainsi que des céphalées, et des paresthésies, ou engourdissements, au niveau des membres supérieurs. Généralement, les paresthésies sont plutôt nocturnes, et de type gant, c’est-à-dire qu’elles touchent la main au complet, pouvant même s’étendre vers le coude ou l’épaule, en opposition à un territoire neurologique spécifique, comme on le voit avec une atteinte d’une racine nerveuse cervicale. Ces territoires déterminés sont nommés dermatomes. Ainsi, par exemple, au niveau de la main des engourdissements du pouce peuvent être en lien avec une atteinte du nerf C6 alors que des engourdissements du petit doigt fait plus penser à une atteinte C8. Évidemment, il y a d’autres causes possibles qu’une atteinte d’une racine nerveuse.
La région thoracique et l’omoplate -la scapula – peuvent également influencer la région cervicale, par différents mécanismes. Notamment, énormément de liens musculaires unies ces différentes régions. Une dysfonction du mouvement ou de la position de l’omoplate peut ainsi par exemple causer des tensions musculaires qui peuvent se répercuter jusqu’à la région cervicale haute et contribuer à des céphalées via le phénomène de convergence expliqué plus haut. La région thoracique et le fonctionnement de l’omoplates devraient donc toujours faire partie d’une évaluation de base en physiothérapie pour des céphalées.
La mâchoire
L’angle de la mâchoire et C1, la première vertèbre cervicale, sont anatomiquement très proches l’une de l’autre. Rocabado, un expert de l’articulation temporo-mandibulaire, considère qu’une faute positionnelle de la mâchoire induit une certaine rotation de C1, et vice-versa, les deux étant intimement reliés. Comme vous le savez maintenant, C1 a le potentiel de contribuer à différents types de céphalées. De plus, une problématique temporo-mandibulaire induit régulièrement des tensions musculaires au niveau de divers muscles, comme par exemple les muscles temporaux, pouvant mener à des douleurs dans le même territoire. Enfin, puisque l’innervation sensitive de la mâchoire est assurée par le nerf trijumeau, elle a le potentiel d’irradier dans d’autres territoires également desservis par le nerf trijumeau, ainsi que d’augmenter l’excitabilité du noyau trigémino-cervical. Ces différentes raisons peuvent expliquer que les études démontrent clairement que céphalées et problème de l’articulation temporo-mandibulaire sont très régulièrement associées, et que le traitement de la mâchoire, évidemment lorsqu’une dysfonction est présente, optimise généralement le traitement de la céphalée.
Conclusion
En résumé, comme vous avez probablement constaté, les céphalées représentent un monde complexe. L’évaluation doit inclure divers aspects touchant notamment la mobilité, autant globale que segmentaire, la flexibilité, la force, et la stabilité de la région cervicale, en plus de la mâchoire et de la ceinture scapulaire. Par ailleurs, une dysfonction de la première côte est souvent une source de tensions musculaires cervicales. En plus de cet aspect biomécanique, une évaluation complète en physiothérapie va comprendre la vérification de la posture, du système vestibulaire, oculomoteur, la présence de facteurs de risque, et beaucoup plus. Le plan de traitement doit être orienté vers les dysfonctions qui auront été notées à l’évaluation. Pour une efficacité optimale, le traitement doit donc être individualisé à chaque patient. Il pourra inclure notamment de la thérapie manuelle, de l’éducation, des conseils, des exercices, et autres approches au besoin.
Références
- Akerman S, Holland PR, Goadsby PJ. Diencephalic and brainstem mechanisms in migraine. Nat Rev Neurosci 2011;12:570-584.