8.5.1 Le syndrome d’apnée du sommeil
Le syndrome d’apnées du sommeil est un problème de santé fréquent ayant des répercussions majeures sur la qualité de vie. Or, il existe deux types de syndromes d’apnées du sommeil. Le premier est associé à une obstruction des voies aériennes supérieures au cours du sommeil, le syndrome d’apnées obstructives du sommeil (SAOS). L’autre type de syndrome d’apnées résulte d’anomalies respiratoires neurologiques centrales, le syndrome d’apnées centrales du sommeil. Seul le SAOS nous intéresse pour la suite de la discussion dans le présent document (Figure 2).
Figure 2 : Le syndrome d’apnées obstructives du sommeil. Source : Wikipedia.
Définitions et prévalence
Une apnée est définie comme une interruption du débit respiratoire d’une durée d’au moins 10 secondes [1]. En opposition, on reconnaît également des hypopnées, qui sont en fait des obstructions partielles du débit respiratoire (Figure 3). Puisque les hypopnées démontrent les mêmes conséquences sur la santé que les épisodes d’apnées, la sévérité du SAOS est établie selon le nombre total d’apnées et d’hypopnées par heure au cours du sommeil (index apnées-hypopnées ou IAH) [2].
Figure 3 : Hypopnées et apnées obstructives. Source : Fisher & Paykel Healthcare.
Le SAOS est considéré comme léger, modéré ou sévère selon que l’IAH a une valeur de 5 à 15, de 15 à 30, ou supérieure à 30, respectivement [3]. Une valeur IAH inférieure à 5 est considérée comme normale. Sur la base de ces critères, il est admis que la prévalence du SAOS peut atteindre 24 % chez les hommes et 9 % chez les femmes [4].
Signes et symptômes
La perte de débit respiratoire lors du sommeil se traduit généralement par une somnolence diurne excessive, avec une augmentation du risque d’endormissement et d’accidents associés. Par ailleurs, les apnéiques sont souvent des ronfleurs habituels. Toutefois, il faut savoir que le ronflement est loin d’être spécifique au SAOS puisqu’environ 60 % des hommes adultes sont des ronfleurs habituels, soit nettement plus que le 24% d’hommes adultes apnéiques [5].
Comme autres symptômes occasionnels, on note notamment des céphalées matinales, une irritabilité, des sueurs nocturnes, une difficulté de concentration, des troubles de la mémoire, une baisse de la libido, et un état dépressif [3]. Par ailleurs, en provoquant une désaturation en oxygène, l’hypoxémie qui en résulte peut causer une hypertension artérielle [6] ainsi que l’apparition de divers autres troubles cardiovasculaires chroniques [3]. Il a d’ailleurs été rapporté que la mortalité augmente de façon statistiquement significative lorsque l’IAH est supérieur à 20 événements par heure [7].
Aspects cliniques
Les sujets consultent généralement en raison d’hypersomnolence diurne, de ronflements importants ou d’épisodes d’apnées rapportés par l’entourage. Puisque l’hypersomnolence et les ronflements ne sont pas spécifiques au SAOS, il est nécessaire qu’un diagnostic médical précis soit établi. Notons que certains apnéiques sont asymptomatique malgré un IAH indiquant la présence d’un SAOS [3]. Dans ces circonstances, en raison des effets secondaires cardiovasculaires importants, un traitement peut tout de même être envisagé selon la sévérité de la pathologie.
Par ailleurs, la plupart des auteurs sont d’accord sur le fait que certaines caractéristiques morphologiques caractérisent généralement les apnéiques, tels qu’un diamètre pharyngien réduit, un voile du palais excessivement long, un os hyoïde plus bas, une dimension verticale excessive de la mâchoire, un occiput en position de rotation postérieure (Figure 4) et une mandibule rétrognathe [39-43]. Il est intéressant de noter que ces deux dernières observations ont été associées à une attitude en protraction de la tête, qui est elle-même associée à la respiration buccale (Voir le chapitre 6 de la 1ère partie). Toutefois, l’association avec un os hyoïde plus bas ne cadre pas avec la posture en protraction cervicale telle que précédemment décrite. Par contre, Notons qu’aucune de ces observations n’est applicable à l’ensemble des apnéiques, suggérant une grande diversité de phénotypes [44]. La non-corrélation de la position de l’os hyoïde pourrait également être reliée au fait que la posture d’extension cranio-vertébrale est peut-être adaptative plutôt que causale. En effet, il a été démontré qu’une position de rotation postérieure de l’occiput favorise des dimensions accrues au niveau du pharynx [45,46]. Ainsi, il ne semble pas approprié de tenter de corriger une telle posture dans le but d’améliorer un SAOS.
Figure 4 : Extension cranio-vertébrale chez les sujets SAOS en comparaison aux sujets sains [54].
Diagnostic
Le diagnostic repose sur la polysomnographie (PSG) qui inclut électroencéphalogramme, électrocardiogramme, oxymétrie, ainsi que l’enregistrement du débit respiratoire, des sons respiratoires et des mouvements thoraco-abdominaux [3]. La PSG permet ainsi de déterminer l’IAH, la désaturation en oxygène, ainsi que les perturbations quant aux phases du sommeil, en fonction des positions de sommeil [8].
L’Échelle d’Epworth, un questionnaire ayant pour but de quantifier la somnolence diurne, est également fréquemment utilisée afin de cibler les sujets à risque [9].
Cliniquement, un autre outil intéressant est la circonférence du cou. Une étude a démontré un pouvoir prédictif positif au fait de ne pas pouvoir faire le tour du cou avec ses propres mains [37]. Toutefois, il faut noter que cette dernière étude n’a utilisé que des patients apnéiques. Une étude plus récente avec groupe contrôle a préféré mesurer la circonférence du cou à l’aide d’un ruban à mesurer et utiliser un ratio pour standardiser la circonférence du cou en fonction de la grandeur de la personne [38]. Il s’avère que la valeur prédictive d’un ratio supérieur à 0.25 n’est que de 25%. Toutefois, la valeur prédictive négative est de 96% lorsque le ratio est inférieur à 0.25. Cette mesure peut donc être utilisée pour éliminer la possibilité d’un SAOS.
Mécanismes
De façon à permettre certaines fonctions non respiratoires telles que la déglutition et la vocalisation, le pharynx n’est pas un tube rigide, contrairement au larynx et à la trachée. Il en résulte un équilibre fragile quant au diamètre des voies aériennes supérieures (VAS).
D’une part, les forces obstructives peuvent être de différentes natures. Tout d’abord d’ordre anatomique, par exemple lors d’une hypertrophie des amygdales ou d’une mandibule de type rétrognathe [10]. L’obésité est également un facteur anatomique extrêmement important, possiblement par augmentation de la masse de tissus adipeux autour du pharynx, d’où le lien avec la circonférence du cou [1]. Par ailleurs, on constate une diminution importante du contrôle musculaire lors du sommeil paradoxal, aggravée par la consommation d’alcool ou d’hypnotiques, causant une baisse de l’activité tonique et phasique des muscles striés associés au sommeil, qui touche particulièrement les muscles dilatateurs des VAS [11]. Ces facteurs sont modulés selon la position de sommeil du sujet, le décubitus dorsal pouvant contribuer à repousser la langue contre le mur postérieur du pharynx et donc contribuer à obstruer le passage de l’air [1].
D’autre part, seule la contraction phasique des muscles dilatateurs des VAS, qui précède de quelques millisecondes celle du diaphragme, est en mesure de contrer ces diverses forces compressives [12]. Chez l’apnéique, on constate la présence de forces compressives qui excèdent celles qui tendent à dilater les VAS, bien que l’activité tonique des muscles des VAS soit exagérée, autant à l’éveil qu’au cours du sommeil. Ceci est généralement interprété comme étant une compensation du système neuromusculaire, laquelle est de toute évidence insuffisante pour contrer les forces obstructives [13].
Lorsque surviennent des épisodes d’apnées obstructives pendant le sommeil, les efforts inspiratoires accrus causent des microréveils cérébraux. Les centres du contrôle respiratoire sont alors en mesure d’envoyer une commande motrice aux muscles dilatateurs des VAS, ce qui cause l’augmentation brusque du diamètre du pharynx, provoquant ainsi l’inspiration subite caractéristique souvent rapportée.
Les raisons pour lesquelles les hommes sont plus touchés que les femmes ne sont pas encore parfaitement comprises, mais une résistance pharyngienne plus élevée chez l’homme ainsi qu’une activité déficiente des muscles dilatateurs du pharynx ont été proposées. Les hormones sexuelles féminines semblent également avoir un effet protecteur, ce qui se traduit par un IAH moins élevé lorsque les femmes ménopausées sont traitées par hormonothérapie, et par un IAH également plus bas lors de la phase lutéale, en comparaison à la phase folliculaire du cycle menstruel [17].
Traitements

Figure 5 : Appareil de ventilation en pression positive continue (CPAP). Source : Wikipedia.
Le traitement préconisé pour le SAOS consiste à utiliser la ventilation en pression positive continue (CPAP), qui maintient les voies aériennes ouvertes en propulsant de l’air dans le système respiratoire (Figure 5) [18]. Très efficace, il n’est toutefois pas toujours bien toléré. L’orthèse d’avancement mandibulaire (OAM), qui tente de repousser la mandibule vers l’avant de façon à augmenter le calibre des VAS, constitue une solution de rechange. Toutefois, l’utilisation des OAM apporte des améliorations chez seulement environ 50 % des patients et n’est généralement conseillée que chez les apnéiques légers à modérés [19]. Lorsque des particularités anatomiques craniofaciales semblent causer le phénomène obstructif, une intervention chirurgicale peut être indiquée [20]. Mentionnons aussi l’existence d’une approche de neurostimulation sous-cutanée du nerf hypoglosse, mais cette dernière nécessite une intervention chirurgicale et est très coûteuse (Figure 6) [21].
Figure 6 : Stimulation électrique du nerf hypoglosse [36].
En parallèle à ces procédures, il est souvent proposé de perdre du poids, puisque l’obésité est un facteur de risque bien connu. La pratique d’exercices aérobiques s’avère ainsi efficace pour réduire l’IAH [22] et il a été suggéré que l’activité physique pourrait améliorer le profil inflammatoire des patients apnéiques [23].
Une autre approche qui gagne rapidement en intérêt consiste à traiter l’apnée par des exercices oropharyngés. Il a d’abord été démontré que le fait de jouer du didgeridoo et de certains instruments de musique à vent aide à diminuer l’IAH de façon significative [24,25]. D’autres exercices oropharyngés [26-30] ont également présenté des effets favorables sur la sévérité du SAOS.
Quoique cela semble être une avenue très prometteuse, plus d’études seront nécessaires afin de déterminer les paradigmes optimaux d’exercices. En effet, les protocoles actuels impliquent une activité quotidienne considérable (30-60 min/jour) et le maintien des gains dans le temps n’est pas connu. Pour expliquer l’effet des exercices oropharyngés, il est question d’un remodelage des voies aériennes supérieures [31] ainsi que de l’amélioration de l’endurance des muscles dilatateurs des VAS, qui s’avèrent moins endurants chez les apnéiques [32].
Il pourrait également sembler logique de tenter de stimuler de façon transcutanée les muscles dilatateurs du pharynx lors du sommeil. Toutefois, les différentes études ont démontré des résultats contradictoires [49]. Il a été proposé que la raison soit liée au fait que la stimulation transdermale n’est pas suffisamment spécifique, contractant autant les muscles dilatateurs du pharynx que les muscles constricteurs [50,51]. Toutefois, une revue de la littérature récente concluait que selon les évidences disponibles, la stimulation électrique transcutanée présente possiblement un potentiel dans le traitement du SAOS, suggérant que de nouvelles études soient réalisées [52].
Compte tenu que les muscles supra-hyoïdiens manquent d’endurance chez les apnéiques, et qu’ils sont trop longs, tel que démontré par un os hyoïde trop bas, il est peut-être plus intéressant de procéder à de la stimulation électrique transdermale en complément à un programme de renforcement de ces muscles. En fait, une telle étude a déjà été réalisée et s’est avéré favorable [53]. Les exercices exécutés dans cette étude comportaient notamment des pressions de la langue contre le palet, et des efforts de sifflements. Toutefois, les résultats sur le long terme sont inconnus.
Conclusion
Le SAOS représente un défi thérapeutique de taille. Plusieurs options thérapeutiques existent, mais certains patients ne tolèrent pas les traitements actuels ou n’obtiennent pas les résultats escomptés. Quoique plus d’études soient nécessaires, les données actuelles semblent vouloir placer la physiothérapie ainsi que les exercices oropharyngés au premier plan de l’arsenal thérapeutique pour le SAOS. Quoi qu’il en soit, nous avons dès maintenant un rôle important à jouer dans la détection des sujets à risque afin de les orienter adéquatement lorsque des examens se révèlent nécessaires.
POURSUiVRE
En plus du syndrome d’apnées du sommeil, différents troubles du sommeil peuvent induire des micro-réveils et ainsi également contribuer à perturber le sommeil.