5. Migraine5.1 Description5.1.1 Classification5.1.2 Les phases d’une crise5.1.3 Facteurs déclenchants5.1.4 Épidémiologie5.1.5 Pathophysiologie5.1.6 Composante génétique5.1.8 Théorie du continuum5.1.9 Intérêt de la physiothérapie5.1.10 Conclusion5.1.11 Références5.2 Évaluation5.3 Traitement
Quoique la pathophysiologie de la douleur migraineuse pointe vers une origine neurologique, la région cervicale est tout de même de plus en plus pointée du doigt comme générateur potentiel et/ou facteur contributif [53]. En effet, elle figure même maintenant dans les zones anatomiques reliées à la migraine dans des articles publiés dans de prestigieux journaux, tel que Lancet (Voir figure 14). Toutefois, comme vous le lirez dans les lignes suivantes, d’autres régions anatomiques pourraient très bien être d’un grand intérêt pour le traitement de la migraine en physiothérapie.
Dysfonctions cervicales
Théorie de la convergence
Rappelons ici que la région cervicale est une cause maintenant bien acceptée de douleur référée à la tête dans les cas de céphalées cervicogéniques, prenant origine dans la convergence d’éléments neurologiques via le NTC [212,213]. En effet, maintes structures innervées par la région cervicale sont connues pour irradier dans le territoire de la branche ophtalmique du nerf trijumeau: les racines nerveuses C1-C3 [214,215], l’artère vertébrale [216,217], les tissus dans le territoire du grand nerf occipital [218,219], les vaisseaux et la dure-mère infratentorielle [77], ainsi que les muscles sous-occipitaux et les articulations zygapophysaires [220].
Évidemment, ce mécanisme n’est pas celui évoqué pour la migraine. Toutefois, il est probable qu’une sous-population de migraineux présentent une CGH co-existante. En effet, comme environ 55% des gens souffrant de céphalées rapportent présenter plusieurs céphalées avec des caractères différents, la migraine et la céphalée cervicogénique peuvent très bien coexister [12].
De plus, il y a beaucoup de chevauchement entre les symptômes des différentes céphalées. En fait, entre 30% et 82% des patients CGH qualifieraient également au diagnostic de migraine, selon les critères de l’ICHD [206,270].
Par ailleurs, une étude a observé que la stimulation nociceptive de C1 chez des migraineux et sujets contrôles. Il s’avère que seuls les patients migraineux ressentaient la douleur irradiée dans les régions frontale et occipitale [292]. En effet, les autres sujets ressentaient plutôt la douleur dans la région occipitale et cervicale. Il a été mentionné que des variations anatomiques pourraient être en cause [293]. Il a en effet été démontré que les racines nerveuses de la région cranio-vertébrale, en particulier C1, ont énormément de variabilité et anastomoses chez les humains [294].
Facteur déclenchant
Non seulement la région cervicale peut irradier à la tête, il n’est pas exclu que des douleurs cervicales secondaires à une dysfonction cervicale, ou les dysfonctions elles-mêmes, soient un facteur déclenchant de migraine [72].
Le débat
En fait, un débat scientifique en toujours en cours au sujet de la contribution de dysfonctions musculosquelettiques cervicales aux migraines [69,70,289,290]. Plusieurs études ont ainsi tenté d’y voir plus clair. Une revue systématique de la littérature a finalement conclu qu’il n’y avait pas d’évidences solides démontrant une implication de dysfonctions cervicales dans la pathophysiologie de la migraine [209]. Toutefois, les auteurs mentionnent avoir eu de la difficulté à interpréter les résultats en raison de procédures d’évaluation très différentes entre les études, en plus de la qualité des études qui était également très variable. Notons également que s’ils n’ont pas pu démontrer une implication de la région cervicale dans la pathophysiologie de la migraine, ils n’ont pas pu la dénier.
Après la parution de cette revue de la littérature, une étude rigoureuse est venue ajouter du poids quant à la contribution possible de la région cervicale à la migraine. Plus spécifiquement, elle a démontré une différence significative quant au nombre de dysfonctions musculosquelettiques entre migraineux et sujets contrôles [210]. En fait, 93% des patients migraineux ont démontré un minimum de 3 dysfonctions musculosquelettiques parmi les suivantes:
- Nombre élevé de points gâchettes;
- Perte de mobilité de la région cranio-vertébrale;
- Augmentation de la réponse douloureuse à la palpation de la région cranio-vertébrale;
- Perte de mobilité dans le test de FRT;
- Perte de mobilité dans la région thoracique;
- Diminution de l’activation des muscles stabilisateurs cervicaux.
Les auteurs concluent que ces dysfonctions supportent une interaction réciproque entre le système trigéminal et le système cervical en tant que symptôme de la migraine. À noter que ces 6 derniers points sont seulement ceux qui ont démontré une différence significative chez les migraineux, sur l’ensemble des 11 points préalablement identifiés comme importants à évaluer chez les sujets aux prises avec des céphalées, selon un consensus international d’experts [69].
Une autre revue de la littérature corrobore que parmi 20 tests investigués, la perte de mobilité physiologique et le FRT sont des outils qui pourraient s’avérer utiles pour l’évaluation des migraineux [290]. Il y est question de la posture de la tête en position orthostatique. On mentionne également l’apport potentiellement important des points gâchettes et de l’examen manuel de la mobilité articulaire, malgré que ces tests n’aient pu être incorporés dans la revue de la littérature en raison de leur hétérogénéité parmi les études.
Enfin, notons que les résultats des différentes études sur la présence de dysfonctions cervicales chez les migraineux peuvent varier selon que les études utilisent les critères de l’ICHD ou non. En effet, les critères du Cervicogenic Headache International Study Group (CHISG) sont plus souples sur la présence de symptômes migraineux, tels que nausée, vomissement, photophobie, et phonophobie. Ainsi, une proportion des études qui n’ont pas retrouvé de façon significative présence de dysfonctions ont utilisé les critères du CHSIG. Ceci a pour résultat de catégoriser d’emblée comme CGH certains patients qui aurait été diagnostiqués migraineux avec les critères de l’ICHD, éliminant ainsi un potentiel sous-groupe de migraineux avec dysfonctions cervicales [210].
Le cumul des dysfonctions
Plusieurs études mentionnent que la présence de signes articulaires cervicaux ne soit pas caractéristique aux céphalées primaires, contrairement à la CGH [20-22]. Il est important de mentionner que de telles dysfonctions sont fréquentes dans la population générale, sans que les sujets en question souffrent de quelconque douleur. Il peut ainsi arriver qu’un patient migraineux présente un signe articulaire cervical isolé sans que cela soit significatif, mais selon certains auteurs l’addition de plusieurs signes devient une indication très suggestive d’une composante cervicale à la migraine [11-12].
Douleur cervicale
Les douleurs cervicales sont présentes chez environ 76% des migraineux, 88% des sujets TTH, 89% des sujets qui présent la TTH et la migraine en comorbidité, contre 56% chez les personnes ne souffrant pas de céphalée [71]. La présence de douleurs cervicales n’est pas garant de causalité d’une dysfonction cervicale quant à la présence d’une crise migraineuse malgré que cela représente un des facteurs déclenchants les plus rapportés [268]. En effet, elle est souvent considérée comme un symptôme de la migraine, plutôt qu’une cause [269]. Selon certains chercheurs, des cervicalgies récurrentes seraient en fait régulièrement une manifestation migraineuse [291,315]. Ajoutons toutefois que lorsqu’une douleur cervicale est rapportée, les migraineux ont généralement une mobilité cervicale réduite, une fonction musculaire altérée, et une présentation clinique moins favorable quant à la présence d’allodynie [288].
Par ailleurs, il s’avère que les migraineux souffrant de cervicalgie lors des crises ont un tonus musculaire plus élevé que chez les migraineux sans cervicalgie ainsi que chez les sujets contrôles, autant pendant les crises qu’entre les crises [297]. Ceci n’est pas surprenant si l’on considère que les migraineux ont un certain niveau d’hyperexcitabilité centrale. En effet, une étude récente suggère que la sensibilisation centrale contribue non seulement à la chronicisation des douleurs, mais également la fonction motrice [298].
Reproduction des symptômes
Plutôt que de considérer la présence de douleurs cervicales, ll a été proposé d’évaluer la reproductibilité de symptômes migraineux durant l’évaluation physique des structures cervicales, suggérant potentiellement une cause à effet [209]. C’est ainsi qu’une étude a démontré que la presque totalité des migraineux ont vu leurs symptômes douloureux reproduits par des pressions cranio-vertébrales soutenues. Les auteurs ont ainsi pu conclure qu’une composante cervicale à la migraine a peut-être été significativement sous-estimée [67].
Innervation cervicale des méninges
Comme précédemment mentionné, le système trigémino-vasculaire est central dans la pathophysiologie de la migraine. Le terme trigémino-vasculaire porte toutefois à croire qu’il est exclusivement lié au nerf trijumeau. Toutefois, il a clairement été démontré que l’innervation des méninges dans la fosse postérieure est d’origine cervicale, plus particulièrement via les racines postérieures de C2 et C3 qui traversent à l’intérieur du crâne via des orifices osseux dans la région occipitale (Figure 23) [259,274].
L’administration d’une soupe inflammatoire au territoire méningé innervé par ces racines postérieures induit une sensibilisation des racines correspondantes ainsi qu’un accroissement de la réponse sensorielle du derme et des muscles y étant associés [259]. Or, il n’est pas exclu qu’un cortex cérébelleux hyperexcitable induise une inflammation neurogénique et l’activation des nocicepteurs méningés adjacents, tel que la dépression corticale propagée le fait pour le cortex cérébral [198,259,276].
Innervation trigéminale extra-crânienne
Par ailleurs, il a été mis en évidence que des fibres méningées du nerf trijumeau traversent la boîte crânienne pour innerver notamment le périoste et certains muscles extra-crâniaux [224,273,274]. Ces dernières observations peuvent également aider à expliquer le rôle potentiel des structures extra-crâniennes dans la génération de céphalées via le système trigémino-vasculaire, ainsi que la nécessité de cibler ces structures dans le traitement physiothérapeutique de la migraine.
Figure 23 : Innervation respective des fosses antérieures et postérieures [307].
En effet, la stimulation de récepteurs extra-crâniens trigéminaux peut induire par voie antidromique le relâchement de neuropeptides pro-inflammatoires au niveau des récepteurs intra-crânien, qui vont à leur tour activer les récepteurs méningés voisins (Figure 24) [274].
Figure 24 : Possible scénario où des récepteurs trigéminés extra-crâniens induisent le relâchement de neuropeptides dans les structures méningées [274].
Caractère de la douleur
Il a déjà été proposé de catégoriser les migraineux selon que la douleur ressentie donne l’impression que la tête soit sur le point d’éclater, en opposition à ceux qui ressentent une sensation de pression intense [275]. Or, il s’avère que ces deux types de migraineux ne répondent pas du tout de la même façon au botox. En effet, seuls les migraineux avec douleur de type serrement ont vu une amélioration significative de leur condition (Figure 25) [275].
Il s’avère également que ce sous-groupe de migraineux présente beaucoup plus de tensions musculaires que l’autre groupe. Il a ainsi été suggéré que l’origine de la migraine chez ce dernier sous-groupe soit d’origine extra-crânienne, peut-être en lien avec une inflammation du périoste de la voûte crânienne aux insertions des muscles cervicaux [274].
Figure 25 : Réponse du botox selon le caractère de la céphalée migraineuse. A) Explosive; B) Implosive [274].
Modulation centrale
Il a été démontré chez les animaux que la stimulation du grand nerf occipital induit une facilitation des influx afférents duraux [59,60,79]. Comme ceci correspond à une augmentation de l’excitabilité du NTC suite à des stimulations des structures cervicales, toute dysfonction cranio-vertébrale a possiblement le potentiel d’augmenter l’excitabilité du NTC et d’exacerber des afférences trigémino-vasculaires [53].
Par extension, tout mécanisme nociceptif qui est desservi par le nerf trijumeau ou les racines nerveuses C1 à C3, voire plus bas compte tenu de la divergence des racines caudales, a le potentiel de modifier l’excitabilité du NTC et donc d’être contributeur à l’apparition ou l’exacerbation d’une migraine.
À l’opposé, l’injection d’un produit anesthésiant au niveau des muscles cervicaux induit une baisse significative de l’excitabilité trigéminale [280]. Il a été démontré que la baisse de l’activité des neurones convergents peut atteindre 80% [281,282]. Il y a même des évidences qui suggèrent qu’une baisse d’excitabilité peut même atteindre des centres supérieurs, tel que la substance grise périaqueducale [283,284]. D’ailleurs, des blocs du nerf occipital peuvent parfois s’avérer efficaces pour diminuer l’intensité des céphalées migraineuses [62,63] et la neurostimulation thérapeutique du nerf occipital s’avère prometteuse dans certains types de céphalée primaire [64-66].
Par ailleurs, la stimulation du nerf grand occipital peut non seulement moduler les afférences nociceptives trigémino-vasculaires, il peut même avoir une influence sur la fonction même du nerf trijumeau. En effet, l’intensité du réflexe cornéal diminue et sa latence augmente suite à l’anesthésie ipsilatérale du nerf grand occipital, confirmant l’impact des afférences cervicales sur les voies trigéminales [80,285]
Ces observations supportent le fait que la modulation des afférences nociceptives contribue à modifier l’excitabilité du NTC. Il est probable que la théorie du portillon décrite par Melzack et Wall soit également en cause dans la modulation de l’excitabilité, notamment pour le fonctionnement de la neurostimulation [286]. Des techniques de thérapie manuelle pour corriger des dysfonctions potentiellement contributrices d’afférences nociceptives ou pour favoriser des afférences proprioceptives pourraient donc avoir une valeur thérapeutique, particulièrement chez un sous-groupe de migraineux présentant des dysfonctions cervicales [287].
Autres contributions ?
En plus des racines postérieures cranio-vertébrales, le nerf hypoglosse et des branches récurrentes du nerf vague contribuent également à l’innervation de la fosse postérieure [260]. Par ailleurs, il peut être intéressant de noter que le NTC contient également des afférences des nerfs crâniens VII (facial), IX (glossopharyngien), et X (vague) [86]. Il y a ainsi peut-être une avenue en physiothérapie via ces interconnections.
Notons qu’il a été suggéré qu’une modulation du nerf vague est possiblement en cause dans les effets favorables rapportés du daith piercing chez certaines personnes pour le contrôle des céphalées, en particulier la migraine (Figure 26) [310,311]. Précisons qu’aucune étude contrôlée n’a été effectuée pour cette thérapie et qu’il demeure possible que ce soit simplement qu’un effet placebo.
POURSUiVRE
La migraine est une pathologie neurologique complexe qui touche des milliards de personnes et qui mérite une évaluation biomécanique détaillée.