4.1 Description4.1.1 Classification4.1.2 Épidémiologie4.1.3 Pathophysiologie4.1.4 Facteurs contributifs4.1.5 Diagnostic différentiel4.1.6 Références4.2 Évaluation4.3 Traitement
Les données actuelles supportent le rôle de la sensibilisation centrale dans différents types de céphalées, notamment la TTH [8]. Toutefois, puisque la sensibilisation centrale est générée par des afférences nociceptives en provenance des structures périphériques [9], la contribution des mécanismes périphériques à la TTH ne devrait pas être ignorée [1]. En fait, les données actuelles suggèrent que des mécanismes périphériques en provenance des tissus myofasciaux et vasculaires péricrâniens, probablement influencés par des prédispositions génétiques, semblent en cause dans la TTH épisodique [19]. Toutefois, les mécanismes centraux semblent pour leur part responsables de la conversion de la TTH épisodique en TTH chronique [19].
Figure 1 : Des mécanismes myofasciaux et vasculaires, modulés par des prédispositions génétiques et mécanismes centraux vont contribuer à la TTH et mener à sa chronicisation [112].
Mécanismes périphériques
Composante myofasciale
Il a été suggéré que la TTH peut au moins en partie être expliquée par des douleurs référées en provenance de points gâchettes de la région cervicale, de la région scapulaire, et de la tête, incluant les muscles extra-oculaires (Figure 2) [11-13,32]. Le fait que la musculature cervicale et scapulaire puisse référer à la tête est supporté par des études où une solution saline hypertonique a été injectée dans différents muscles (splenius capitis, trapèze supérieur, temporaux) afin d’induire une douleur expérimentale chez des personnes saines [23]. La douleur ainsi provoquée s’avère similaire à celle décrite par les sujets TTH [23].
Figure 2 : Les points gâchettes [110].
Toutefois, il est vrai que les points gâchettes sont controversés en raison du manque de validation scientifique des mécanismes exacts du phénomène. Il est important de réaliser que ce n’est pas leur existence qui est remise en question mais bien leurs mécanismes [33,34]. Cela n’enlève donc en rien leur rôle potentiel dans la pathophysiologie de la TTH.
Un point gâchette (TrP) a initialement été décrit comme étant une agglomération de fibres musculaires hyper-irritables dans un cordon myalgique au sein d’un muscle, pouvant reproduire des douleurs locales et référées à la pression mécanique [35]. Les douleurs référées se manifestent généralement par des patrons de douleur reproductibles [36]. On distingue les TrPs actifs qui reproduisent une douleur référée faisant partie de la symptomatologie du patient, alors que les TrPs latents induisent également une douleur référée mais cette dernière ne figure pas dans la symptomatologie connue du patient [36,37].
À titre informatif, il a été mentionné que les TrPs se retrouvent régulièrement sur le trajet de troncs nerveux et qu’une hyperalgésie secondaire d’origine neurologique périphérique pourrait très bien expliquer le phénomène de douleur irradiée par les TrPs [33].
Il faut toutefois réaliser que ce qui est décrit comme une TrP n’est pas synonyme de sensibilité musculaire [40]. Les points douloureux à la palpation ne sont donc pas tous des points gâchettes. Deux différences principales existent. Premièrement, en plus d’une douleur locale, le TrP présente une douleur référée, connue ou non par le patient [41]. Deuxièmement, un TrP se caractérise par une augmentation de la concentration de plusieurs médiateurs chimiques, telles que l’adénosine triphosphate, la prostaglandine E2, le glutamate, le glucose, le pyruvate, l’urée, ainsi que certaines substances algogènes, comme la substance P et la bradykinine, ce qui n’est pas le cas pour un simple point douloureux [42-44]. Bref, c’est un mécanisme pathophysiologique qui semble plutôt complexe (Figure 3).
Figure 3 : La pathophysiologie hypothétique du point gâchette [111].
Notons par ailleurs qu’un TrP ne semble pas associé une contraction excessive du muscle dans son ensemble. En effet, quoiqu’il semble y avoir une activité spontanée au niveau des TrP, les études électromyographiques (EMG) se sont avérées être très contradictoires, n’arrivant pas à démontrer de différences significatives entre un muscle dans son entièreté qui présente un TrP et un muscle sain [45,46]. De plus, une association entre le niveau d’activité EMG et l’intensité des céphalées n’a pu être démontrée [67], quoique certaines études mentionnent la présence de muscles péri-crâniens plus fermes à la palpation chez les sujets TTH chroniques [68].
Malgré tout, une contraction prolongée ou répétitive est suggérée comme mécanisme contributif à l’apparition de points gâchettes. Cette contraction peut être causée par une surutilisation du muscle, mais aussi via un phénomène de co-contraction réflexe suite à une douleur distante (Figure 4) [109]. Ce mécanisme est parfois vu comme étant physiologique, pouvant représenter un mécanisme de protection. Toutefois, lorsqu’il se prolonge, c’est à ce moment qu’il pourrait contribuer à l’apparition de points gâchettes. Il est à noter que le muscle alors contracté est toujours accompagné par une contraction des muscles antagonistes [106,107], d’où l’appellation de phénomène de co-contraction [108].
Il faut ensuite savoir qu’une douleur musculaire est principalement causée par la stimulation des nocicepteurs profonds, des terminaisons nerveuses libres répondant à des stimulations mécaniques ou chimiques [47]. Les diverses molécules accompagnant le TrP peuvent ainsi directement stimuler les nocicepteurs, en plus d’augmenter leur excitabilité.
La résultante consiste en une activité nociceptive de faible intensité mais prolongée. La sommation temporelle qui en découle a ainsi la possibilité d’induire une sensibilisation périphérique, provoquant une douleur [40]. On peut donc voir la sensibilité musculaire accrue chez certains sujets TTH comme une conséquence à la TTH et non comme une cause, où les TrPs semblent être un facteur important, mais probablement pas unique [22,48].
Figure 4 : Mécanisme de co-contraction en conséquence à une douleur [109].
Quoique que les évidences pointent plus vers les tissus musculaires, on ne peut pas exclure la possibilité que d’autres tissus participent également à la sensibilisation périphérique notée dans la TTH [40]. Notons que les muscles semblent plus efficaces à induire un changement prolongé dans le comportement de la corne dorsale comparativement aux tissus plus superficiels, comme la peau [49].
Il a ainsi été rapporté que les patients TTH chroniques ont plus de TrPs actifs et latents dans la région de la tête que des sujets contrôles et les patients souffrants de d’autres types de céphalées [50,51,56]. Une série d’étude contrôlées ont rapporté que la douleur provoquée par des TrPs dans les muscles sous-occipitaux [52], temporaux [53], sterno-cléido-mastoïdiens [54], ainsi que dans le trapèze supérieur [55] produisent une douleur très similaire aux douleur rapportées par des individus avec TTH.
Les TrPs actifs semblent toutefois plus déterminants que les TrPs passifs. En effet, les patients TTH chroniques avec TrPs actifs ont démontré des céphalées d’intensité, fréquence, et durée plus élevées que pour leurs comparses avec TrPs passifs [52-55]. À noter que les TrPs actifs sont également présents pour les sujets TTH épisodiques [57-59]. Toutefois, il semblerait qu’il y ait un plus grand nombre de TrPs actifs chez les sujets TTH chroniques en comparaison aux sujets épisodiques [60], quoique cette différence se dissipe lorsque l’on compare les sujets TTH épisodiques fréquents et les sujets TTH chroniques [61]. Enfin, il est également intéressant de noter que le nombre de TrPs actifs a été associé au niveau d’anxiété des patients et au fardeau physique lié à leurs céphalées [61].
Composante vasculaire
Il a été proposé que des changements dans la vascularisation cérébrale puissent activer des nocicepteurs trigéminaux et mener en partie à la douleur de la TTH [112]. En effet, en comparaison à des sujets contrôles, les sujets TTH ont un débit sanguin plus élevé dans les artères cérébrales [113-115]. D’autres anomalies ont été constatées, notamment quant au débit des artères carotides et à la réponse de la vascularisation extra-crânienne à l’activité physique, comme par exemple l’absence de dilatation des artères temporaires [116,117].
Pour expliquer ces changements, l’effet vasoconstricteur du NO et du CGRP, ainsi qu’un déficit de la fonction sympathique ont été proposées. Pour le moment, un niveau plus élevé de NO sanguin a été démontré pour les patients THH chronique [118]. Toutefois, des études sont encore nécessaires pour mieux comprendre l’apport de ces molécules et du système nerveux sympathique dans la pathophysiologie de la TTH [112].
Composante génétique
Peu est connu à cet effet dans le contexte de la TTH, mais il a été proposé que différents gènes influencent probablement son développement. Un polymorphisme des gènes 5-HTTLPR et Val58Met COMT sont ainsi suspectés de moduler le risque de souffrir de TTH [119-121]. Les sujets TTH présentent une hypervigilance face à la douleur qui a été associée à un locus génétique sur le chromosome 8p21 [91,92]. La présence de ce locus n’a toutefois pas été vérifier spécifiquement chez les sujets TTH [7]. De son côté, le gène APOE-ε4 aurait un effet protecteur [122].
De façon générale, la composante génétique semble plus élevée chez les sujets TTH ne souffrant pas de migraines concomitantes. Notons que cette assertion est supposée en fonction des résultats de deux études différentes [123,124]. Les deux groupes n’ont donc pas été formellement comparés. Il est important d’en tenir compte car ces résultats semblent être contradictoires avec le fait qu’il est généralement admis que des migraines comorbides assombrissent généralement le pronostic de la TTH, et qu’il est bien connu que la migraine comporte de son côté très clairement une composante génétique.
Des évidences suggèrent également que la composante génétique serait plus importante pour les sujets TTH chroniques et épisodiques fréquents, en comparaison aux sujets TTH épisodiques peu fréquents [93,94].
Mécanismes centraux
La sensibilisation centrale correspond à une altération du traitement des signaux nociceptifs au niveau du système nerveux central, causant une amplification des symptômes, incluant un élargissement des champs récepteurs neuronaux (hyperalgésie secondaire), une réponse accrue à un stimulus supraliminaire (allodynie), et une activité spontanée [62].
Plus spécifiquement, on retrouve une détérioration des mécanismes anti-nociceptifs (inhibiteurs) descendants [63], une hyperactivité des voies facilitatrices de la douleur [64,65], ainsi qu’une altération du traitement sensoriel au niveau cérébral [65]. Il en résulte une augmentation de l’activité de certaines parties du cerveau connues pour être normalement associée au traitement de la douleur, en plus d’une activité additionnelle dans des zones habituellement non impliquées dans le traitement de la douleur [66]. Certains chercheurs ont proposé que c’est par une hyperactivité du SNS que les facteurs psychologiques se traduisent par le développement de la TTH [100].
Des observations supportent le rôle de la sensibilisation centrale dans divers types de céphalées, particulièrement la TTH (Figure 5) [1]. Par exemple, les réponses allodyniques et hyperalgésiques observées chez les individus TTH [2]. Il a d’ailleurs été suggéré que l’hyperexcitabilité du système nerveux central ainsi que la diminution des mécanismes d’inhibitions descendants sont impliqués dans le développement de la TTH [3,4]. En fait, la théorie la plus acceptée propose une sensibilisation centrale secondaire à des afférences nociceptives prolongées provenant des tissus périphériques [5,40]. Il a d’ailleurs été démontré que l’injection intramusculaire de produit anesthésique dans le trapèze supérieur diminue le seuil de la douleur, localement et à distance du site anesthésié [6]. Ceci supporte l’idée que la sensibilisation centrale peut être modulée par les afférences périphériques [1].
Figure 5 : Modèle pathophysiologique de la céphalée de tension chronique [7].
Les afférences nociceptives des tissus péricrâniens sont augmentées, sensibilisant le noyau trigémino-cervical (en rouge). Il en résulte une augmentation des influx supraspinaux (en rouge), augmentant l’excitabilité centrale et diminuant les efférences inhibitrices descendantes (en vert). Les changements neuroplastiques peuvent également inclure une augmentation des efférences motrices. PMT: pericranial myofascial tissue; BI: brainstem interneurons; MN: motor nuclei; SH/TNC: spinal horn and trigeminal nucleus caudalis.
Il est ainsi possible que chez certains patients TTH épisodiques fréquents susceptibles, sous l’effet continu des TrPs, évoluent vers une forme chronique. Il a d’ailleurs été démontré qu’une sensibilisation généralisée à l’ensemble du corps existe chez les sujets TTH épisodiques fréquents [69,70], et ce même en dehors des périodes de crises [71]. On peut en effet noter une hyperesthésie dans des endroits distants non douloureux chez des sujets TTH, tels qu’au niveau des tendons d’Achille, des muscles para-vertébraux lombaires, et des doigts [72,73,79,80]. Il est intéressant de noter que les sujets TTH épisodiques non fréquents ne présentent pas d’évidences de sensibilisation centrale [40]. Rappelons que ces derniers présentaient également un nombre significativement moins élevé de TrPs actifs, comparativement aux sujets TTH épisodiques fréquents.
Bref, comme le nombre de TrPs actifs augmente, il semble s’en suivre un phénomène de sensibilisation centrale, qui chronicisera la douleur chez certains individus susceptibles [56]. Cette association a été confirmée par une étude démontrant un nombre plus élevé de TrPs actifs dans les muscles de la tête, du cou et de la région scapulaire, chez des sujets TTH épisodiques fréquents et TTH chroniques présentant une plus grande hyperesthésie locale et distante [74].
Il est important toutefois de ne pas négliger les TrPs passifs. En effet, une étude préliminaire suggère que l’augmentation des influx périphériques en lien avec de tels TrPs peut également induire une sensibilisation centrale, particulièrement chez les sujets TTH épisodiques fréquents [75,76]. Il a alors été proposé que des terminaisons nerveuses libres non-nociceptives, et peut-être même des fibres myélinisées de large diamètre, participent au phénomène de sensibilisation centrale [77,78].
Changements structurels cérébraux
Il a été démontré à l’aide d’IRM que les patients avec TTH chroniques présentent une atrophie dans différentes régions du cerveau [81], tout comme les sujets avec lombalgie chronique [82] ou douleurs fantômes [83]. La signification précise de cette atrophie n’est toutefois pas connue. Il a été suggéré qu’elle est peut-être en lien avec l’activation chronique des structures impliquées secondairement à l’hyperactivité musculaire [81].
POURSUiVRE
Le stress et la tension mentale ont été identifié comme étant les facteurs de risque les plus fréquemment observés chez les sujets TTH.