3.1 Description3.1.1 Classification3.1.2 Épidémiologie3.1.3 Pathophysiologie3.1.4 Facteurs contributifs3.1.6 Références3.2 Évaluation3.3 Traitement
Comme il a été précédemment mentionné, il y a déjà longtemps que les scientifiques tentent d’expliquer comment la région cervicale peut causer des céphalées mais ces explications n’ont retenu que peu l’attention de la communauté médicale pour plusieurs années. Plus récemment, il a été démontré que la stimulation nociceptive de structures innervées par les nerfs cervicaux de la région cervicale haute peut causer une douleur irradiée dans le territoire du nerf trijumeau (Figure 2).

Figure 2 : Le nerf trijumeau. Source : Wikipedia.
Par exemple, une tumeur de la fosse postérieure [9], la stimulation de la dure-mère sous-tentorielle [11], la stimulation des tissus sous-cutanés innervés par le nerf grand occipital [78], ainsi que la stimulation directe des racines nerveuses cervicales hautes [9,79] peuvent causer une douleur dans la région frontale.
Toutefois, selon certains auteurs, il semblerait que les articulations ne réfèrent pas elles-mêmes au niveau de la tête (Figure 3) [117]. Ce serait d’autres structures environnantes qui ont le potentiel de le faire, comme par exemple les muscles inter-spinaux (Figure 4).
Figure 3 : Douleur référée des articulations cranio-vertébrales [117].
Figure 4 : Douleur référée du périoste à la base du crâne (C0-C1) ou des muscles inter-spinaux cervicaux (C1-C6). À noter que les nombres représentent le % de sujets stimulés ressentait une douleur dans le territoire représenté [117].
Malgré tout, le mécanisme étant initialement inconnu pour expliquer ce phénomène, la communauté médicale était toujours peu encline à accepter la possibilité d’une origine cervicale à certaines céphalées.
Il est à noter qu’il peut être intéressant de se souvenir que le nerf trijumeau présente une distribution centrale en plus de la distribution périphérique classique de ses trois branches, de la même façon que l’on peut parler de dermatomes pour les racines nerveuses cervicales, en plus du territoire sensitif desservi par les nerfs périphériques (Figure 5).
Figure 5 : Organisation somatotopique (a) et les zones sensitives correspondantes (b) du noyau sensitif du nerf trijumeau [119].
On compte en fait 3 noyaux au sein du SNC recevant les afférences en provenance du nerf trijumeau, soit les noyaux mésencéphalique, sensitif principal, et spinal, allant d’une position céphalique à caudale, respectivement. Le noyau mésencéphalique gère principalement les afférences proprioceptives du visage, notamment de la mâchoire. On le sait impliqué dans le réflexe mentonnier. De plus, il a la particularité d’être la seule structure du SNC contenant le corps cellulaire de neurones de premier ordre, qui sont généralement contenus dans des ganglions, tel que le ganglion trigéminal. Les liens de ces neurones de premier ordre avec les neurones de second ordre se trouvant dans ce noyau sont également particuliers, étant électriquement couplés plutôt que d’utiliser des médiateurs chimiques sous forme de synapses [126].
De son côté, le noyau sensitif principal reçoit des afférences associées à la sensibilité discriminative et au toucher léger, ainsi que certaines informations proprioceptives. La plupart des afférences voyagent ensuite jusqu’au thalamus de façon controlatérale, sauf pour ce qui est des influx en provenance de la cavité orale qui demeurent ipsilatérales. Enfin, la partie spinale, qui porte son nom en raison de son excursion au sein de la moelle épinière cervicale, reçoit les afférences reliées au toucher profond et à la température, en plus des afférences nociceptives du visage ipsilatéral. À noter que ce noyau reçoit également des afférences des nerfs facial, glossopharyngien, et vague.
On peut sous-diviser ce dernier noyau en trois sections, qui portent les noms de pars oralis, pars interpolaris, et pars caudalis. Les informations nociceptives dentaires sont relayées par le noyau interpolaris alors que les autres sources de nociception de l’ensemble du nerf trijumeau sont acheminées par le pars caudalis.
Théorie de la convergence
En plus des afférences trigéminales, le pars caudalis reçoit également des afférences spinales. Quoique les fondements anatomiques démontrant une convergence d’afférences de la région cervicale haute dans le noyau du nerf trijumeau ont préalablement été démontrées par Frederick Kerr dans les années 60 [89,115], c’est Nikolai Bogduk en 1992 qui a initialement proposé cette convergence comme étant la cause des CGH [116].
Il s’avère en fait que la matière grise de la partie caudale (pars caudalis) du noyau du nerf trijumeau dans le tronc cérébral s’étend sans interruption vers la matière grise de la colonne dorsale de la moelle épinière (Figure 6) [86].
Figure 6 : Le noyau trigémino-cervical correspond à la partie caudale du noyau du nerf trijumeau [117].
Les noyaux des 3 premiers nerfs cervicaux et le pars caudalis du nerf trijumeau sont ainsi en fait un seul et même noyau : le noyau trigémino-cervical (NTC) [10,47,86]. Les premières études anatomiques ont en effet démontré que le NTC s’étend ainsi jusqu’au troisième segment de la moelle épinière, et possiblement parfois même jusqu’au quatrième [87,88,90-92]. Ceci en fait le noyau principal par où transitent la presque totalité des afférences nociceptives de la tête, incluant les afférences des structures vasculaires et méningées [127]. On comprend bien alors son importance dans la pathophysiologie de différents types de céphalées.
Non seulement des afférences cervicales hautes et trigéminales se côtoient dans le NTC, elles convergent vers des neurones de 2ième ordre communs (Figure 7) [93-96]. Une information nociceptive en provenance du nerf trijumeau (Tableau 1) peut donc être interprétée comme étant d’origine cervicale haute, et vice-versa. Il est intéressant de noter que c’est principalement la branche ophtalmique du nerf trijumeau qui s’étend jusqu’au NTC, c’est-à-dire la même branche que celle impliquée dans plusieurs catégories de céphalées [19,77,86].
Tableau 1 : Rappel des structures principales innervées par le nerf trijumeau [128].

Figure 7 : Le phénomène de convergence.
Des études plus contemporaines ont précisé qu’en plus des fibres nociceptives du nerf ophtalmique, il s’agit surtout de fibres nociceptives Aδ et C des racines postérieures de C1 et C2, principalement C2, qui synapsent avec les neurones de 2ième ordre [94,96].
Cette convergence fait donc en sorte qu’une stimulation nociceptive de la région cervicale haute peut causer des douleurs dans le territoire du nerf trijumeau, le plus souvent associé à la branche ophtalmique [19]. Cliniquement, maintes structures innervées par la région cervicale sont ainsi connues pour irradier dans le territoire du nerf trijumeau: les racines nerveuses C1-C3 [48,49], l’artère vertébrale [50,51], les tissus dans le territoire du grand nerf occipital [52,53], les vaisseaux et la dure-mère infra-tentorielles [54], ainsi que les muscles sous-occipitaux et, selon certains auteurs, les articulations zygapophysaires [10,57,58].
Divergence
De la même manière, les racines nerveuses cervicales hautes adjacentes convergent entre elles également sur des neurones de 2ième ordre communs [89]. Ceci amène donc un chevauchement des territoires correspondant à chacune des racines nerveuses cervicales hautes. Plus spécifiquement, les racines nerveuses peuvent monter ou descendre jusqu’à trois segments dans le cordon postérieur de la moelle épinière et la substance gélatineuse avant de faire son entrée dans la matière grise via une racine postérieure, phénomène connu sous le terme divergence (Figure 8).
Figure 8 : Divergence aux segments avoisinants ipsilatéraux ainsi qu’au segment concerné controlatéral [122].
Ainsi, des afférences nociceptives d’une origine aussi basse que C6 et C7 pourraient interagir avec le noyau trigémino-cervical [106]. Ceci peut possiblement expliquer pourquoi une atteinte cervicale basse puisse à l’occasion selon certains auteurs induire une CGH [74,75].
De plus, il a été démontré que certaines structures innervées par le NTC projettent de façon bilatérale au niveau du tronc cérébral [97,104]. Des influx nociceptifs pourraient donc même occasionner des douleurs controlatérales ou bilatérales (Figure 8). Bref, en voyant toutes ces ramifications, il devient clair que l’évolution a favorisé un NTC conçu de façon à s’assurer du relais des informations nociceptives vers le thalamus, sans se soucier pleinement de la précision quant à l’origine exacte des afférences. Ceci peut peut-être aider à expliquer pourquoi les céphalées sont régulièrement sourdes et mal localisées [105].
Autres contributions
Par ailleurs, il peut être intéressant de noter que le NTC contient également des afférences des nerfs crâniens VII (facial), IX (glossopharyngien), et X (vague) [86]. Le NTC est ainsi le noyau nociceptif principal de la tête, de la gorge et de la région cervicale haute.
Bidirectionnalité
Toutefois, il ne faut pas oublier que les interactions entre les afférences du nerf trijumeau et les trois premières racines nerveuses cervicales sont bidirectionnelles. C’est-à-dire qu’elles peuvent également irradier du nerf trijumeau vers la région cervicale (Figure 9). Ce point peut aider à comprendre pourquoi plusieurs types de céphalées sont accompagnés de cervicalgie [23].
Enfin, il est important de comprendre que cette théorie pathophysiologique n’est possible qu’à condition que les symptômes soient attribuables à un mécanisme de douleur principalement afférentiel.
Figure 9 : Dermatomes (a) et distribution des nerfs périphériques cervicaux (b) [119].
En effet, compte tenu des connaissances contemporaines de la douleur, Gifford a proposé un nouveau cadre thérapeutique basé sur un modèle conceptuel (Figure 10) où les mécanismes de la douleur sont catégorisés en: 1) mécanismes afférents, incluant la douleur nociceptive et le douleur neurogénique périphérique, 2) mécanismes de traitement de l’information du SNC, incluant la douleur d’origine centrale ainsi que l’aspect cognitivo-affectif, et 3) mécanismes efférents, incluant les systèmes moteur, autonomique, neuroendocrinien, et immunitaire [62].
Bogduk lui-même, entre autres, a suggéré que pour pouvoir formuler des hypothèses quant à l’origine nociceptive de la douleur, cette dernière doit présenter une composante afférente dominante [63,64].
Figure 10 : Le modèle conceptuel de la douleur de Gifford qui tient compte des modèles biologique et social de la douleur [120].
Autres théories
Quoique la théorie de la convergence soit probablement le mécanisme principal par lequel la région cervicale peut référer des douleurs à la tête, ce modèle ne peut pas expliquer toutes les formes de douleurs référées à la tête, notamment certaines douleurs référées en provenance des tissus musculaires [77]. D’autres mécanismes seront ainsi abordés dans le chapitre suivant sur les céphalées de tension, notamment les points gâchettes ainsi que le phénomène de sensibilisation centrale de la douleur (Voir chapitre 4).
Et la névralgie du nerf d’Arnold dans tout ça ?
Figure 11 : Territoires des principaux nerfs de la tête. Source : Wikipedia.
La névralgie du nerf grand occipital, souvent surnommé la névralgie du nerf d’Arnold (Figure 11) est un terme fréquemment rencontré, souvent pour signifier des douleurs cervicales avec ou sans douleur périorbitaires. À tort, il peut ainsi être utilisé comme un synonyme de CGH. Toutefois, il s’agit en fait d’un diagnostic complètement différent, avec sa propre section dans l’ICHD au sein d’un groupe de pathologies concernant les neuropathies. Le terme névralgie devrait être utilisé pour désigner une douleur se présentant précisément dans le territoire d’un nerf sous forme d’une brûlure ou de chocs électriques, parfois accompagnée de paresthésies.
POURSUiVRE
Les facteurs contributifs principaux à la céphalées cervicogéniques sont en lien avec la posture, les traumatismes antérieurs, ainsi que le syndrome de stress post-traumatique.